Traduction de l'article paru dans

The Bulletin


The Newsweekly of the Capital of Europe , 19 octobre 2000

Au cours de la seconde guerre mondiale, des centaines d'équipages d'avions Alliés abattus au-dessus de la Belgique furent sauvés par l'héroïsme d'un groupe de jeunes volontaires - conduits par la fille d'un institutteur bruxellois, âgée de 24 ans. Andrée De Jongh, connue sous le nom de Dédée, raconte à Shirin Wheeler l'histoire du Réseau Comète.


Sous la pleine lune en automne 1942, le sergent Bob Frost et quatre autres membres de l'équipage d'un bombardier Wellington revenaient d'un raid sur Essen en Allemagne. Ils avaient lâché une bombe de 1800 kgs sur les usines d'armement Krupp., mais avaient été atteints par des tirs anti-aériens. Au-dessus de la Belgique, l'avion commença à perdre de l'altitude. A 16000 pieds , le canonnier Frost endossa son parachute et s'éjecta.

"Je traversai un nuage, il faisait froid et humide. J'étais blême. Seulement une semaine, et deux autres missions, et mon tour de trente serait terminé. Alors le sol s'approcha et j'y tombai."

Frost atterrit dans un champ juste en dehors de Kapellen en Brabant Flamand. Il avait 19 ans, et seul dans cette Belgique occupée par les Allemands. Mais endéans les six semaines, grâce aux efforts d'un réseau d'évasion connu sous le nom de Réseau Comète, il était à nouveau au pays et en congé à Londres.

Maintenant, 58 ans plus tard, Frost revient en Belgique pour rencontrer quelques uns des hommes et des femmes qui risquèrent leur vie pour sauver des aviateurs Alliés comme lui. Ce week-end à Bruxelles et à Namur, 20 anciens équipages de la RAF rejoindront leurs vieux amis du Réseau Comète. Il assisteront à une messe à la mémoire de ceux des sauveurs qui furent exécutés ou moururent dans les camps de concentration et les prisons d'Allemagne.

Le Réseau Comète était un des deux réseaux d'évasion mis sur pied en Belgique pour évacuer les équipages qui avaient été abattus, ainsi que les soldats abandonnés après Dunkerque. (L'autre était le Réseau Pat, dirigé par Pat O'Leary - le capitaine médecin Albert Marie Guérisse - qui sauva 600 aviateurs avant d'être trahi auprès de la Gestapo au début 1942.) Pendant les trois années qu'il fonctionna de 1941 à 1944, le Réseau Comète sauva de la capture 800 aviateurs et soldats Alliés. Ils étaient évacués de Belgique à travers la France et les Pyrénées jusqu'en Espagne, neutre, et de là par Gibraltar.

Il fut fondé par les services de renseignement britannique (M19) à Londres. Mais il dépendait du courage et de l'aide des gens de la campagne et des familles de la résistance en ville, qui cachaient et nourrissaient les étrangers jusqu'à ce qu'ils puissent être déplacés. Ce faisant, ils risquaient l'arrestation, la torture et la mort. Aider à échapper à la capture était un délit que des centaines payèrent de leur vie.

Lorsque Frost atterrit à Kapellen, il eut la chance d'être à proximité de la ferme de la famille Vangilbergen.

"Je vis une maison, et dans l'espoir qu'une vieille dame m'ouvrit, je frappai à la porte. Mon ange gardien faisait des heures supplémentaires. En fait ce fut un solide garçon qui parlait flamand. Je lui répondis dans un allemand d'école et il me claqua la porte au nez. Finalement je le persuadai de me laisser entrer.

Les Vangilbergen furent les premières personnes rencontrées par Frost en Belgique occupée - les premiers d'une longue suite de citoyens qui risquaient tout pour aider un jeune étranger dans l'embarras.

"Ce matin-là, la famille me laissa dans la maison et alla à une fête au village. Je me rappelle avoir regardé la course cycliste par la fenêtre du grenier."

Ils contactèrent des membres du Réseau Comète. Ce n'était pas difficile car le réseau d'évasion avait des agents partout en Belgique, à la recherche d'aviateurs Alliés abattus.

Frost fut emmené à Bruxelles où il resta tout d'abord chez un agent de change près de la Bourse de Bruxelles, et ensuite à Laeken chez une veuve qui dirigeait elle-même son propre groupe de résistance, d'une maison de l'avenue des Pagodes.

Muni d'un costume, de chaussures et de faux papiers d'identité il devint Robert Simonis, un marin belge parlant un peu allemand. "Simonis" vivait à Bordeaux mais avait été à Bruxelles pour visiter sa mère malade. Ceci lui donnait l'excuse de voyager vers le midi. Par un réseau d'environ 1000 personnes travaillant en Belgique et en France, le Réseau Comète entrait en action pour sauver des centaines d'autres soldats et aviateurs.

Comète avait été la trouvaille d'une femme de 24 ans, Andrée De Jongh. Elle vit encore à Bruxelles dans un petit appartement près de la place Meiser. Maintenant physiquement fragile, elle n'a rien perdu de la passion qui lui avait fait gagner le surnom de "Petit Cyclone".
Dédée (avec son père) aida à
Sauver de nombreux aviateurs Alliés.
Après la guerre, elle fut faite Comtesse par le Roi. En Grande-Bretagne elle fut récompensée par la George Cross. Sa voix tremble d'émotion quand elle se rappelle comment, en mai 1940, son instituteur de père lui avait annoncé que la Belgique s'était rendue aux Allemands après 18 jours.

Ils étaient dans la maison familiale de l'avenue Emile Verhaeren. "Je n'avais jamais vu mon père pleurer avant - jamais. Il dit, "la Belgique ne lutte plus maintenant, elle s'est rendue." J'étais désespérée et furieuse, enragée en même temps. Je dis à mon père 'tu as tord de pleurer. Tu verras ce qu'on va leur faire. Tu verras qu'ils perdront cette guerre. Ils ont commencé, mais ils la perdront. Ne t'inquiète pas." Mais je ne savais pas vraiment comment nous gagnerions.

Cela devint vite clair. Andrée De Jongh mit sur pied une chaîne de maisons sûres à Bruxelles et le long de la route vers la frontière espagnole.. Ensuite elle voyagea vers l'Espagne avec un groupe d'aviateurs pour trouver des appuis à son projet.

Les Britanniques, craignant initialement une souricière de la Gestapo, réalisèrent bientôt la valeur de ce que la jeune femme (au nom de code "Postman", mais mieux connue de son officier du M19 à Londres, Airey Neave, comme Dédée) offrait de faire pour eux.

En 1941 un officier de renseignement de l'Ambassade Britannique à Bilbao accepta de rembourser les frais de voyage si elle pouvait ramener des aviateurs Alliés abattus au-dessus de la Belgique et du nord de la France, en les escortant au travers des Pyrénées. Le Réseau Comète était né. Il n'y eut pas manque de volontaires parmi les amis et la famille (y compris les parents De Jongh, la tante et la sœur aînée).

Frost se rappelle la première fois qu'il rencontra Dédée De Jongh dans un appartement à Bruxelles en 1942 "c'étaient ses yeux, qui brûlaient ardemment et qui lui donnaient un air d'extrême confiance en elle."

Pour le jeune canonnier aviateur de 19 ans, elle et les autres camarades féminines du Réseau Comète inspiraient de l'adoration "Je tombai totalement amoureux d'elle - absolument. Nous avions complète confiance en elles. Par le même signe, elles mettaient leur confiance en nous."

Ce fut Dédée elle-même, accompagnée par un guide Basque, qui escorta Frost et quatre autres vers la liberté, au-delà des Pyrénées. Elle portait un sac à dos rempli de vêtements civils pour les aviateurs.
Garder l'espoir vivant. : les membres du Réseau Comète
posent, à une réunion en 1943
C'était une traversée pénible de huit heures, en silence, dans la nuit. Les aviateurs, qui étaient connus par les membres du réseau comme "les enfants", trouvèrent souvent le voyage épuisant. De Jongh rit et se rappelle comment elle devait parfois les enjôler pour les encourager à poursuivre. "Lorsque un des hommes s'asseyait et disait qu'il n'allait pas plus loin, j'essayais de le rendre honteux. Je comprenais qu'ils n'avaient pas bougé pendant des semaines ou des mois en se cachant dans des maisons à Bruxelles ou à Paris. C'était difficile. Mais j'étais un peu choquée qu'ils ne fassent pas plus d'effort. S'ils avaient été trouvés par les Allemands ils auraient mis tout le réseau en péril. Et, vous savez, lorsque vous avez dit à quelqu'un qu'il peut vous faire confiance, vous vous devez à vous-même d'arriver au but. Je ne peux pas faillir."

Frost se rappelle la marche éreintante, hésitant dans l'obscurité, et se demandant comment ils pourraient continuer longtemps. La résistance de Dédée était extraordinaire. Avant son arrestation , elle fit la traversée de nombreuses fois, et passa personnellement 118 hommes au-delà des montagnes, dont 80 aviateurs Alliés.

Lorsqu'ils arrivaient en Espagne, les hommes se reposaient dans une maison sûre, mais Dédée De Jongh continuait et téléphonait à l'Ambassade de Grande Bretagne pour envoyer la voiture diplomatique. Elle délivrait les précieux chargements sur la route de Madrid.

J'ai vraiment un souvenir horrible de cela. Tous ces hommes, ils étaient nos enfants, c'est vrai. Nous étions tellement attachés à eux. En fait nous le sommes encore. Aussitôt que la voiture était en vue, il n'y avait pas le temps de se dire au revoir. Ils couraient. Nous avions passé trois jours ensemble- nous ne pouvions pas dire au revoir. Mon cœur fondait, mais en même temps j'étais si heureuse."

Les membres du Réseau Comète payèrent un très lourd tribut. Des dénonciations et infiltrations conduisirent à des centaines d'arrestations et de morts. Dédée fut prise au moment où le mauvais temps avait retardé le passage des Pyrénées en janvier 1943 et, sous interrogation de la Gestapo, un des aviateurs de la RAF avait identifié à la fois ses passeurs et les maisons sûres du réseau. Pendant des mois il sembla que le Réseau Comète avait été dispersé. Mais il fut rétabli par le Baron Jean Greindl (nom de code Nemo). Malgré les trahisons, les arrestations et les exécutions, il y avait toujours quelqu'un prêt à continuer.

Lorsque Frost et ses compagnons aviateurs viendront à Bruxelles ce week-end, ils visiteront la citadelle de Namur où beaucoup passèrent devant le peloton d'exécution
De Jongh dit qu'elle avertissait tous ceux qui se portaient volontaires pour le Réseau Comète, de s'attendre à être tué ou capturé dans les six mois. Mais cela ne fit pas reculer Andrée Dumon, âgée de 17 ans.

Avec le nom de code Nadine, elle commença par porter des messages pour le réseau et des copies de La Libre Belgique, qui avait été interdit et était devenu clandestin. Elle s'enhardit en faisant passer les aviateurs à Paris ou à Valenciennes par le train. Il est extraordinaire d'imaginer cette adolescente à la frontière, traitant calmement avec des officiers allemands pendant qu'ils examinaient les papiers falsifiés des aviateurs. Mais on se souvient d'elle pour son sang-froid et son sourire permanent.
Grand-mère aujourd'hui, elle a gardé ce sourire. Andrée Dumon vit toujours dans la maison familiale à Uccle où, âgée de vingt ans, elle et ses parents furent arrêtés après qu'un informateur les eut dénoncés à la Gestapo.

"Je peux encore entendre mon grand-père criant 'Police Allemande!' Je ne l'oublierai jamais. Nous étions encore au lit, il était sept heures du matin. Mon père me dit d'essayer de m'échapper, et je grimpai donc sur le toit. Alors je vis que les Allemands avaient encerclé la maison - leurs revolvers étaient pointés sur moi et je savais qu'ils tireraient. Donc je me rendis," dit-elle d'une voix étonnement jeune.

Andrée Dumon et Andrée De Jongh passèrent toutes deux près de trois ans en prison et dans les camps de concentration. Lorsque l'Allemagne capitula en 1945, elles sortirent du camp de Mauthausen gravement malades et sous-alimentées. Mais beaucoup de leurs camarades du Réseau Comète ne survécurent pas aux camps, et parmi eux le père Dumon. Elle fut envoyée à Ravensbruck. "Vous passez ces énormes portes. Je peux seulement dire que c'est comme si on passait la porte de l'enfer. C'est dur d'en parler," dit-elle. "Mais ils ne brisèrent pas mon esprit. Je suis heureuse de dire que je n'ai jamais ciré les chaussures des gardes SS pour un bol supplémentaire de soupe, malgré que j'avais certainement faim."


Bon sang ne peut mentir.Andrée Dumon (à gauche) et sa
sœur Michou faisaient leur travail de résistance à vélo.
Certains peuvent s'être demandé si cette souffrance en valait la peine - mais les Britanniques leurs dirent que le Réseau Comète faisait une grande différence. Pas seulement parce qu'il permettait le retour au pays de pilotes, d'opérateurs radio et de navigateurs, mais parce que les hommes savaient que, s'ils étaient abattus, ils seraient sauvés et trouveraient des amis en Belgique occupée. Ceci remontait sérieusement leur moral.

Andrée Dumon est très claire au sujet de ce qui la motivait. "J'étais pour la liberté, contre l'occupant. Nous faisions tout contre l'occupant. J'ai passé un aviateur qui, après être rentré, partit pour une nouvelle mission et bombarda deux sous-marins. Il fut d'ailleurs décoré pour cela."

Il se passe rarement un jour sans que Frost rappelle les sacrifices que les membres du Réseau Comète ont fait pour lui et pour ses autres camarades aviateurs. Il sait que les choses auraient pu être très différentes si quelqu'un d'autre avait ouvert la porte dans le village de Kapellen. Au contraire, le Réseau Comète renvoya le jeune aviateur chez sa mère à Clerkenwell, guère plus d'un mois après avoir été porté disparu.

"Je n'ai rien d'autre que le plus profond respect pour les gens qui travaillaient dans le Réseau Comète," dit-il. "Ils savaient le prix à payer s'ils étaient pris. C'était de l'héroïsme au-delà de tout ce que je puis dire. Une fois rentrés au pays, nous pouvions sortir, montrer nos ailes de la RAF et mener une vie normale. Ces gens ne le pouvaient pas. Ils avaient à rester tranquilles, continuant leurs affaires et espérant qu'on ne frapperait pas à la porte."

Après la guerre, Frost et Andrée Dumon devinrent des amis intimes. Elle est maintenant le porte-flambeau de la mémoire du Réseau Comète. Elle a aussi organisé ce week-end la réunion des aviateurs et des membres du Réseau Comète à Bruxelles.
Combattante de la liberté : aujourd'hui Andrée Dumon
est une grand-mère vivant à Uccle.
Elle estime avoir un besoin de contact des deux côtés, peut-être pour exprimer leur mutuelle gratitude. Elle dit que sans les Anglais nous serions Allemands maintenant."

L'année prochaine, on célébrera le 60e anniversaire du Réseau Comète. "Nos propres enfants ne semblent pas y être tellement intéressés," dit Andrée Dumon, " mais alors nous ne leur en avons pas vraiment parlé. Peut-être était-ce trop pénible. Vous savez, mon père est mort - j'aurais tant voulu l'avoir connu adulte. Maintenant je pense que nous devons raconter notre histoire parce que les jeunes devraient réellement savoir - par égard à ceux qui sont morts."

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